C’est dans le cadre de l’exposition Jeune Création qui s’est déroulée du 29 octobre au 2 novembre au 104 à Paris, que nous avons interrogé Fabien Zocco sur ses oeuvres. Celles-ci mêlent des recherches sur l’indicible du langage et de la technologie. Il est actuellement étudiant au Fresnoy-Studio National des Arts Contemporains de Lille.
Par Armandine Chasle et Mélissa Galea
1) Quel est votre parcours et comment en êtes-vous arrivé à Jeune Création 2014 ?
J’ai tout d’abord suivi des études d’histoire pendant 4 ans. Je m’intéressais alors beaucoup aux musiques expérimentales, et déjà aux arts plastiques, un peu de loin… J’ai ensuite fait les Beaux-Arts et y ait découvert les arts numériques, une « dimension » des arts contemporains que je connaissais très peu jusqu’alors. Quant à Jeune Création, c’est tout simplement en envoyant un dossier en réponse à l’appel à projets (activité qui constitue une part conséquente de mon travail, comme pour la plupart des autres jeunes artistes !)
2) Votre travail questionne l’« être au monde » mais vous évoquez la lecture qui est plutôt considérée comme un plaisir solitaire ?
La notion d’« être au monde » est une référence au philosophe Martin Heidegger, qui sous ce terme questionne précisément la place de l’humain vis-à-vis du monde qu’il habite… c’est donc déjà une référence littéraire ! Je ne suis pas sûr que la lecture soit à ce point assimilable à la solitude. Comme le pensait Gilles Deleuze, la lecture convoque toujours une foule, une multiplicité (d’auteurs, de personnages…)
3) Vos textes utilisent l’intelligence artificielle pour se créer, vous êtes vous inspiré des différents courant de la littérature numérique et notamment de Love Letters de Christopher Strachey (1952) ?
(nb : Love Letters est un programme de 1000 lignes générant des lettres d’amour. Il a été créé sur le premier ordinateur commercial, en adaptant la technologie de l’intelligence artificielle découverte en 1950 par Alan Turing.)
Je connais un certain nombre de travaux « historiques » de littérature numérique (Jean-Pierre Balpe, Philippe Bootz (professeur-chercheur à l’Université Paris 8), notamment). L’OULIPO (auquel JP Balpe fut lié d’ailleurs), ou même certaines pièces d’art conceptuel constituent également des références majeures dans mon approche des notions de « texte » et de générativité.
4) L’écriture automatique renvoie au hasard et à l’indéterminé mais vos oeuvres sont paradoxales puisqu’elles semblent pourtant contrôler l’indéterminé et ce, grâce aux possibilités du numérique ?
Je ne sais pas si je « contrôle » l’indéterminé, mais cette tension permanente entre la rigidité des règles algorithmiques, extrêmement définies, et l’ouverture à une marge d’indécidé est fondamentale dans mon travail, c’est certain. C’est effectivement paradoxal… mais j’adore les paradoxes.
5) Tout est utilisé dans vos oeuvres, l’ordinateur, en tant que matériel même, mais aussi le code. Vous faites parler le matériel et l’immatériel, vous donnez complètement vie à un ordinateur, pourquoi ?
Je ne pense pas «donner vie» à un ordinateur… par contre, cette tendance lourde et immémoriale chez l’humain, à vouloir « animer » une création par nature artificielle (du Golem à l’intelligence artificielle…) me questionne profondément, et constitue un aspect fondamental de ma réflexion artistique.
6) Dans quel but vouliez-vous montrer les codes informatiques, est-ce purement par esthétisme ou par envie de montrer ce langage ?
Le code est pour moi un élément central des processus à l’oeuvre au sein de mes pièces, mais il demeure en général caché. D’une certaine manière, ce langage ne se montre en filigrane que dans l’expression qui en découle.
7) En quoi votre travail interroge-t-il notre rapport aux nouvelles technologies ?
En tentant de les décentrer, je dirais… J’entends par là que ma démarche vise précisément à détourner des processus technologiques vers des territoires qui ne leur sont pas propres. Et ainsi montrer comment les logiques internes aux nouvelles technologies peuvent servir de bases créatrices.
8) Vous diriez que votre travail penche vers la contestation de la dématérialisation informatique ou vers l’expression d’un goût pour ces nouvelles formes d’être sur le net ?
Il me semble impossible de tenir une position manichéenne vis-à-vis de la technologie, et des mutations qu’elle entraîne. S’il y a bien sûr une forme de fascination dans mon rapport aux processus numériques, cela n’empêche pas de cultiver un regard critique pour autant. Je ne pense pas que « contestation » soit un terme bien choisi en ce qui me concerne, « déconstruction » me semblerait plus approprié.
9) Votre travail interroge le rapport entre l’être et la machine ; choisiriez-vous l’Homme ou la machine si vous deviez le faire ?
J’ai du mal à imaginer l’un sans l’autre. Pas de machines sans humain bien sûr, mais comme l’a montré Bernard Stiegler (entre autres), la technique reste également un trait déterminant de l’humain… Ce qui m’intéresse, c’est plutôt l’interpénétration de ces 2 domaines (l’humain et le machinique), comment l’un amène l’autre à « muter » en continu, et réciproquement.
10) Puisque nous vivons à l’heure de l’information virtuelle, où tout tend à se dématérialiser, à votre avis que trouverons les archéologues dans 2000 ans ?
Il est bien sûr impossible de répondre à cette question! Voir même d’imaginer la moindre réponse… Mais ce qui est finalement paradoxal, c’est qu’effectivement notre époque «volatilise» une part conséquente de l’information qu’elle génère, mais qu’en même temps elle produit des «traces» dont les effets dans le temps prennent des dimensions jusqu’ici inédites (voir l’excellent film Into Eternity, traitant de la question des déchets nucléaires sur le mode d’un scénario de science-fiction…) Reste déjà à savoir s’il y aura toujours des archéologues dans 2000 ans… !
11) Revenons à Jeunes Création, pourquoi avoir choisi de présenter cette oeuvre tout particulièrement ?
Au delà des contraintes de taille et d’espace, inhérentes au contexte d’exposition collective, cela m’intéressait de montrer la pièce à partir de laquelle j’ai commencé à travailler la question du langage. De plus Conversationagent-conversation sera montrée à quelques semaines d’intervalle sur une autre exposition à Lille, dans des conditions et sous une forme très différentes. Je voulais donc tester ces différentes modalités d’exposition.
12) Concernant I AM YOU ARE, le cynisme de cette oeuvre est-il réellement dû au hasard ou les mots sont-ils spécialement sélectionnés, comment avez-vous programmé cela ?
Les adjectifs complétant la phrase I am … and you are… sont effectivement tirés au hasard dans une liste à peu près exhaustive des qualificatifs employés dans la langue anglaise. Je ne sais pas s’il y a du cynisme là dedans, mais ce qui m’intéressait c’était de court-circuiter, par ce hasard machinique, toute trace d’intentionnalité dans la production d’énoncés pourtant signifiants.
13) J’ai eu l’impression que vous cherchez à établir une communication entre l’ordinateur et l’humain, au moyen de discussions fictionnelles entre les deux protagonistes ? Comme par exemple dans le film Her (2013) ?
(nb : Her est une comédie dramatique de science-fiction écrite et réalisée par Spike Jonze, dans laquelle un écrivain créé un système d’exploitation : Samantha, duquel il tombe peu à peu amoureux.)
Pas tant une communication mais plutôt une sorte d’effet miroir, ou tenter de montrer comment la machine et ses processus influent de plus en plus sur nos propres fonctionnements. Quant à Her, c’est pour moi l’exemple même d’une super idée scénaristique exploitée au rabais dans un traitement qui la dessert totalement… J’ai trouvé le film plutôt raté, grosse déception après une certaine attente.
14) Vers où vous allez ? Pourquoi Le Fresnoy ?
Je tente de poursuivre et de faire évoluer ce travail, plutôt donc actuellement focalisé sur les rapports entretenus entre technologie et langage. C’est effectivement le point central de ce que je développe actuellement au Fresnoy, qui au-delà des moyens alloués, me semblait être un lieu vraiment approprié pour faire avancer ma démarche, notamment du fait que les arts dits «numériques», le cinéma et les arts dits « contemporains » y sont abordés conjointement et sous un angle tout à fait particulier et intéressant.
Autres oeuvres de Fabien Zocco :
Searching for Ulysses (2013)
La pièce reconstitue le Ulysse de James Joyce à travers twitter.
Le texte initial est lu automatiquement à raison d’un mot toutes les 25 secondes. A chaque nouveau mot lu, un programme recherche sur le réseau social le dernier message émis contenant le mot en question. Le tweet saisi vient s’afficher à la suite du précédent.
L’oeuvre de Joyce transparaît en filigrane du processus qui se déroule. Ainsi se compose un palimpseste éphémère proche du cut-up, qui s’accumule au fil de la «lecture» d’Ulysse par le programme informatique.
From the sky to the earth (2014)
Une base de données répertoriant des noms attribués à des étoiles (Aldebaran, Proxima, etc…) est parcourue aléatoirement.
A chaque terme sélectionné vient se juxtaposer l’image saisie dans Google Street View d’un lieu quelque part sur terre (ville, lieu-dit, rue etc…), dont le toponyme est identique au nom de l’étoile.
Site Internet de l’artiste :