Habitant à Paris, je ne vais plus dans les supermarchés, là-bas il n’y en a pas : pas assez de place, pas assez d’espaces. C’est donc avec une joie non dissimulée que j’ai fait l’acquisition de ce petit journal : pour me replonger dans les supermarchés. Mais aussi pour questionner ces espaces de consommations, dans lesquels on se perd dans les rayons, entre les produits, que l’on doit choisir pour demain, après-demain et jusqu’à la semaine suivante.
Durant un an, Annie Ernaux : romancière dont la réputation n’est plus à faire a tenu un journal de ses visites au supermarché Auchan. Le résultat, un petit livre de 70 pages à peine, dans lequel l’on a l’impression de l’accompagner faire ses courses.
Avec cet ouvrage, elle questionne le monde social qui l’entoure comme à son habitude, mais aussi les objets et lieux de mémoire que les artistes-auteurs choisissent d’utiliser et donc de pérenniser dans la mémoire collective via leurs créations. En décrivant ce qu’elle voit lors de ses passages aux caisses des supermarchés elle transforme cet endroit en un lieu assez distingué pour être la place d’histoires à raconter, à narrer.
Dès lors qu’elle l’a choisi le supermarché pour raconter ses histoire il a gagné de nouveaux titres de noblesse.
J’ai arrêté mon journal. Comme chaque fois que je cesse de consigner le présent, j’ai l’impression de me retirer du mouvement du monde, de renoncer non seulement à dire mon époque mais à la voir. Parce que voir pour écrire, c’est voir autrement. C’est distinguer des objets, des individus, des mécanismes et leur conférer valeur d’existence.
Annie Ernaux, Regarde les lumières mon amour, page 71